Jacques Chirac a été président de la République française de 1995 à 2007, un septennat plus un quinquennat. Il est à l’origine de la fondation du RPR en 1976 (reversé dans l’UMP en 2002, puis LR en 2014), en héritier du parti gaulliste UDR. Chirac était de droite, pas encore complètement libérale, mais pas non plus sociale. Ses adversaires le présentaient plus comme un opportuniste que comme un homme de convictions. Celles-ci portaient plus sur l’image de la France, à l’intérieur et à l’extérieur, que sur une idéologie de droite. D’ailleurs, il a commencé sa carrière politique en tant que simple militant communiste. Il aura, à l’image de Mitterrand, couvert presque tout l’arc républicain, au-delà des partis, FN mis à part. Son « antifascisme » ne l’a pas empêché, par exemple, de rencontrer Jean-Marie Le Pen à quatre reprises, selon l’ex-président du FN, dont deux fois avant les deux tours de la présidentielle de 1988.
Le sémillant Chirac, dit le Grand Jacques, a été choisi par les barons gaullistes pour relooker un mouvement qui était dirigé par de vieux barbons, Debré (père), Messmer, Chaban et Guichard. Le vrai pouvoir appartenait à ces derniers, moins connus aujourd’hui que l’omnipotent Charles Pasqua, l’homme qui fera le lien entre la Corse et la métropole, le Milieu et la police, la Résistance et le pouvoir. Le noyau idéologique était à l’origine la chasse gardée de Pierre Juillet et Marie-France Garaud, lucide parmi les lucides, attaquée logiquement par toute la gauchosphère des années 70. Pour elle, l’État et la France n’étaient pas négociables. Ce que la gauche, Chirac compris, fera dans les années 80-90, pour finir par lâcher la politique de souveraineté nationale, symbolisée par le fameux contrôle du triptyque monnaie-économie-guerre.
La France a cédé à l’Europe, c’est-à-dire à l’Allemagne, deux de ces trois prérogatives fondamentales. En ce qui concerne la guerre, elle s’est arrimée aux intérêts israélo-américains, sauf peut-être en Afrique (et encore, nos soldats travaillent avec les GI’s à Djibouti pour contrer les déstabilisations djihadistes du Sahel). Conséquence, la France a reculé dans tous les domaines, et son étoile diplomatique, qui luisait encore dans les années 2000, a pâli à une vitesse dangereuse. La réputation monte par l’escalier, et descend par l’ascenseur. Le renoncement, annoncé et analysé par Garaud dans Impostures politiques (2010), montre aujourd’hui ses conséquences funestes.
Et Chirac, là-dedans ? Il aura conduit une politique de gauche non communiste, comme Mitterrand conduira une politique de droite non nationale, signe de l’alternance à la française. Une démocratie qui n’assume plus le Pouvoir et la Décision, les médias et l’opinion « faisant » de plus en plus l’agenda des politiques. Ces années de valse droite/gauche et de cohabitations – la fin objective de l’esprit de la Constitution de la Ve République, et le retour à l’instabilité de la IVe – auront montré une chose aux Français : que le pouvoir existe toujours, mais ailleurs. Dans les « instances » internationales, ce nuage lointain et bienfaisant, ce qu’il n’est évidemment pas. Le chant du cygne chiraquien aura été ce jour du 14 février 2003, où le dernier diplomate honorable de la République française saura s’opposer à la guerre d’extermination américaine en Irak, un pays ami, aux liens nombreux – et plus ou moins avouables – avec les derniers gaullistes.
Il ne reste donc pas grand-chose de la parenthèse chiraquienne, sinon l’impression d’un surplace, agrémenté de combines politiques internes (l’élimination des ambitieux quadras du RPR dans les années 90 par le « tueur » Pasqua, une petite nuit des longs couteaux à droite). Pour le punir définitivement, le mouvement dit gaulliste, qui n’avait plus que 10% de gaullisme en lui (la tendance Seguin), finira en sarkozysme, sa version libérale américano-sioniste, soit l’exact opposé idéologique de ses origines ! Une parenthèse d’indépendance nationale sera ainsi fermée, en 2007. Que les socialistes se garderont bien d’ouvrir en 2012.
Savoir si Chirac et ses gaullistes dits sociaux auraient pu s’opposer à la prise de pouvoir des sarkozystes est un autre débat. Ils ont probablement essayé, mais ont été éliminés. Des puissances extérieures et leurs obligés (Monnet, Delors, Klarsfeld) ont œuvré à la destruction de la souveraineté du pays, avec une efficacité redoutable, en droite ligne de Mai 68. Le successeur de Chirac achèvera la révolution orange française, qui couvre les années 1968-2007. La décennie suivante ne sera que renoncements et trahisons. Il aura fallu 50 ans pour faire d’un pays solide à tous points de vue, une flaque.
Au-delà de Jacques Chirac, qui a montré quelques soubresauts souverainistes, plus en paroles qu’en actes, la question se pose de la possibilité non pas de revenir en arrière, mais de reconstruire une France forte et unie. Pour cela, si l’on considère que l’Europe a été un plan américain à intérêts allemands, il faudra en passer par un détachement de l’UE, qui ne nous sert plus à rien, sauf à larguer notre industrie et ce qui nous reste de souveraineté. Ce que Garaud crie dans son livre et dans ses rares passages télé depuis son éviction du premier cercle chiraquien. Un constat lucide traverse le temps sans encombres ni rafistolages. La cassure entre les gaullistes historiques et les néo-gaullistes, prélude à la liquéfaction de l’État, aura lieu lors de l’agenouillement de Chirac le 16 juillet 1995 devant les « représentants » de la communauté juive, lorsqu’il reconnaîtra la responsabilité de la France dans la parenthèse politique de Vichy. En face de ce renoncement aux conséquences néfastes, la gifle à G.W. Bush le 14 février 2003, et la remontada stupéfiante de 1995, où Chirac déjouera tous les pronostics en renversant la vapeur balladurienne, grâce à une campagne… dans les campagnes. Cependant, il y a probablement moins de portraits de Chirac que du Général dans la France rurale.
Chirac avait-il les moyens de renoncer au renoncement ?
Question inutile, puisque nous y sommes. Nous retiendrons son passage à Alger en mars 2003, sa colère contre la sécurité israélienne en octobre 1996, son adoubement du futur leader libanais Hassan Nasrallah en 2004, son discours rassembleur après les émeutes d’octobre 2005, émeutes allumées par son ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, qui n’aura de cesse de trahir les derniers souverainistes, pour parvenir enfin, lui le candidat financé par l’oligarchie bancaire supranationale, dans le fauteuil suprême, d’où il pourra appliquer la politique de ses sponsors (milieux d’affaires, États-unis, Israël). Sommes-nous si faibles et si aveugles que nous devions envoyer au pouvoir visible des traîtres à la Nation qui ne s’en cachent même plus ?
Honni par la gauche parisienne prosioniste – rayez les pléonasmes inutiles –, Chirac, en essayant de garder le cap sur la ligne diplomatique française neutre dans le conflit israélo-palestinien, passera pour un antisioniste propalestinien forcené. C’est dire à quelles forces le chef de l’exécutif français est soumis depuis deux décennies. Déboîté par l’intelligentsia de gauche, il aura été sauvé d’une disparition rapide par cet esprit frondeur des Français, qui préféreront envoyer à la place de Balladur, l’homme de Rothschild et des « noyaux durs », une sous-copie du Général. Petit baroud d’honneur des électeurs, qui suffira à emmerder les élites « culturelles » pendant un septennat. Néanmoins, Chirac était l’invité permanent du milliardaire Pinault, un modèle de collusion que Sarkozy reprendra avec Bolloré.
Chirac à Alger :
Chirac à Oran :
Pour finir, deux extraits d’articles. Le premier, daté de juillet 2010, tiré d’un site propalestinien à la gloire d’Hassan Nasrallah, permet d’appréhender la politique arabe de Chirac, un peu trop facilement appelé « l’ami des Arabes ».
Le Premier ministre socialiste français Lionel Jospin, qui avait qualifié de « terroriste » le Hezbollah, en a fait l’expérience à ses dépens, déclenchant le plus célèbre caillassage de l’époque contemporaine, terminant piteusement sa carrière politique, irrémédiablement carbonisé. Jacques Chirac qui avait préconisé des « mesures coercitives » pour brider le Hezbollah se ravisera après l’échec israélien dépêchant une escadrille française pour protéger l’espace aérien libanais lors du défilé célébrant la « divine victoire », craignant que la moindre anicroche atteignant Nasrallah, ne déclenche par représailles l’éradication politique et physique de la famille de son ami Rafic Hariri, assassiné en février 2005…
Le second est tiré du Figaro. Il dresse un bilan mitigé de cette même politique arabe.
En arrière-plan de l’activisme déployé par le chef de l’État dans cette partie du monde, il y a, d’abord, la proximité de la région avec l’Europe, mais aussi la perspective redoutée d’un affrontement entre l’Islam et l’Occident. Il fut parmi les premiers à voir venir le danger. « Rétablir, même fugacement, le lien entre l’Orient déchu de ses splendeurs et l’Occident claquemuré dans ses peurs aura été l’apport majeur de Jacques Chirac à la vie mondiale en ce début du XXIe siècle », reconnaissent les auteurs. Ceux-ci déplorent pourtant que l’aura que le président de la République en aura retiré au Maghreb comme au Proche-Orient n’aura servi ni à moderniser le monde arabe ni à y faire avancer la cause de la démocratie et des droits de l’homme. « Tout Chirac est là : une grande clairvoyance sur les transformations profondes en cours (dans le monde arabe), mais aussi une incapacité à en déduire autre chose qu’un immobilisme théorisé ». Un immobilisme qui, conjugué à un refus de jouer la carte européenne et à une incapacité à reconnaître le rôle écrasant de l’hyperpuissance américaine, va entraîner une série d’échecs : le traité d’amitié avec l’Algérie, qui aurait dû couronner la politique arabe du Président, n’aura finalement pas vu le jour ; le processus de paix au Proche-Orient, dans lequel Jacques Chirac aspirait à faire jouer un rôle important à la France, fait du sur-place. La politique arabe de la France se résume aujourd’hui à une politique libanaise, marquée par une vendetta personnelle du président de la République contre son homologue syrien, Bachar al-Assad.
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